Crematorium
2012, Amiens [Somme]
Crematorium
2012 / concours Conception construction Amiens Métropole
RAMERY Bâtiment, travaux |
La situation en crête de la vallée de Grâce est l’une des plus belles séquences d’arrivée sur Amiens : le paysage et la ville s’y présentent en une symbiose parfaite. Nous savons que cette harmonie va évoluer et il s’agit de contribuer à ce changement en gardant ce qui en fait la qualité au travers de formes et d’horizons nouveaux. Le cimetière de Renancourt par exemple est un pivot dans le paysage et notre proposition veut en être l’écho qui le pérennisera. Le concours combine deux enjeux dans un horizon temporel différent. Tout d’abord le crématorium dans son jardin est un fait de civilisation qui devra donner lieu à un équipement fonctionnel et économe. Mais le crématorium est aussi en position pionnière : son projet est l’acte qui engage le site dans sa transformation urbaine et environnementale. Intervenir là, c’est introduire l’impulsion qualitative qui anticipe une longue suite de projets qui s’échelonneront dans le temps. Il a été important pour nous de comprendre quelle présence produire pour être en accord avec le caractère impressionnant et symbolique du programme et du site : le souvenir au cœur de l’activité urbaine, la séparation au milieu de la vie, la disparition devant une nature si présente… |
Nous croyons que cette ambition n’a pas besoin d’un grand geste spectaculaire : notre proposition ménage à la fois le besoin de retrait des familles et accorde la visibilité nécessaire à l’équipement. Nous avons accompagné pas à pas le proche parent, le simple visiteur, le technicien crématiste afin de donner la mesure et l’aisance à la pratique de chaque lieu. C’est avec ce faisceau de données qui associe matière minérale et végétale que nous envisageons notre contribution à ce rituel de crémation encore balbutiant dans notre culture occidentale.1_Initier le développement urbain dans le paysage.La disposition en angle du crématorium et du parking planté présente deux intérêts : elle protège d’abord un espace maximal de jardin. Elle installe aussi des relations précises avec le développement urbain futur et avec les repères majeurs de la ville que sont la tour Perret et la cathédrale. La position perpendiculaire à la route du crématorium, et sur la position la plus haute du terrain est un point de départ structurant pour le développement de Borealia. Tout en évitant une exposition trop ostentatoire, elle ordonne le site et facilite les implantations à venir |
(y compris pour l’hôtel ou tout autre équipement qui pourrait être édifié dans la bande profonde et étroite à l’Est). L’échelle de la construction est suffisamment affirmée pour constituer une référence et en même temps aucun vis-à-vis gênant n’est à craindre avec les fonctions tertiaires ou résidentielles de la ZAC de Renancourt.
Le parking planté qui longe l’avenue de Grâce, légèrement en retrait, conserve l’ouverture sur la vallée. Compte tenu de la topographie, c’est certainement la seule fenêtre qui pourra être maintenue de la sorte dans la zone d’activité. A hauteur de vue du passant, c’est une bande végétale poreuse qui occupe le premier plan et laisse percevoir les bosquets, les modelés et les horizons dans la profondeur. Par contre, les frondaisons denses feront écho dans toutes les directions à celles du cimetière de Renancourt et s’y associeront pour former à la fois un repère urbain et paysager. Depuis l’intérieur du site, nous avons porté attention aux points de vue sur la ville. C’est en cheminant sur la crête du terrain, c’est-à-dire sur l’allée d’accès à l’entrée principale du crématorium qu’ils seront les plus significatifs. En tenant compte des gabarits supposés (R+3) des constructions de l’autre côté de l’avenue |
de Grâce, le recul permettra des échappées visuelles diagonales aussi bien vers le centre-ville que vers la silhouette plus lointaine des quartiers Nord Est de la ville qui ne manquent pas d’harmonie à cette distance.
2_Le milieu naturel devient un jardin. La topographie diagonale guide le rapport au terrain et pose les premiers termes d’une négociation, d’une invitation. Ce paysage suspendu entre l’enfouissement et l’envol est source d’inspiration pour le projet. Il offre naturellement les conditions de représentation du mystère de la vie et de la mort à travers le spectacle d’une nature intemporelle et du ciel pardessus la vallée. |
paysage de la vallée. D’abord perçu à travers la futaie (hêtres) sous la couronne des arbres, le bâtiment apparaît de plus en plus dégagé depuis l’allée d’accès, jusqu’au point où l’on perçoit l’entrée. Côté parking, la géométrie régulière des travées de stationnement est le support d’une série de galeries végétales qui s’ouvrent généreusement et en profondeur vers les jardins et le grand paysage. C’est le travail du terrassement qui caractérise cette séquence très structurée. Le parking s’étage en plateaux successifs dans le sens de la pente (vers le nord-est) et chaque travée est séparée de sa voisine par un talus dominé d’une ligne de hêtres branchus depuis la base. Les liaisons entre le stationnement, le bâtiment et le jardin cinéraire, se font par l’extrémité nord des travées au droit d’une série de murs qui signifient la clôture du site. Les rampes d’accès s’intercalent entre ces murs et connectent les différents niveaux du jardin cinéraire. L’enfilade des murs, dont la hauteur laisse filer le regard, dessine la façade intérieure du jardin. Une fois cette limite franchie, les chemins conduisent à quatre jardins cinéraires (columbariums ou cavurnes) situés au-delà d’une grande noue plantée (calamagrostides, méliques, acanthes,…) ou permettent de rejoindre le bâtiment |
et le parc. La décomposition du jardin cinéraire produit des espaces où le recueillement est favorisé par les dimensions réduites et mesurées. Si le sol de ces jardins est une architecture de terrasses horizontales tenues par des murets bas, la végétation adopte quant à elle, des expressions plus libres. Quelques érables ponctuent çà et là chaque jardin bordé de haies rustiques (cornus, viornes, aubépines, houx, fusains, néfliers,…). Dans les allées, les columbariums alternent avec les bouquets de vivaces (épilobes, roses trémières, héllébores, iris, œillets, …) qui apportent leur fleurissement naturel et, selon la saison, des odeurs aussi subtiles et passagères qu’un souvenir. En empruntant les allées vers le nord, on rejoint les espaces de dispersion situés dans une partie du parc où la végétation se fait plus enveloppante. Les deux espaces sont clos sur trois côtés par une haie d’aspect champêtre où grimpent des rosiers. On y pénètre par un passage resserré, sorte de porte végétale, après laquelle la vue s’ouvre généreusement sur le paysage paisible de la vallée de Grâce. L’espace de dispersion proprement dit est constitué d’une large surface de galets entourée d’un déambulatoire. Le sol est cadré par des murs de pierre où sont portés les noms des défunts. Ce soubassement minéral |
qui comporte aussi des assises, est surmonté de la végétation de l’enveloppe qui l’inscrit dans la dimension paysagère. Taillée de ce côté, elle augmente l’intimité du lieu et traduit le soin prévenant qui lui est porté. Le parcours dans le parc se développe en jouant avec la déclivité pour atteindre un ultime point de contemplation, le plus retiré, qui s’installe face à une belle vue, insoupçonnée depuis le haut du terrain. La partie du parc offert à la promenade s’inspire des ambiances simples et émouvantes d’une campagne faite de prairies composées d’une alternance de pelouses et de nappes d’herbes hautes d’où émergent, de loin en loin, quelques vénérables arbres isolés. Pour l’œil attentif, le socle crayeux affleurant s’exprime à la surface de la mince couverture fertile mouchetée de blanc. Discrètement, la craie friable, le silex et le « compagnon blanc » (silènes) éclairent le sol de la prairie. Le projet met aussi en valeur le parcours de l’eau de pluie en donnant différentes formes à des ouvrages qui la contiennent, la canalisent et la dirigent vers le bas du terrain. Ici, large noue plantée qui marque une distance par rapport au jardin cinéraire, là, petit canal qui accompagne le parcours face à la pente jusqu’à la limite nord où son étalement dans la forme en creux d’un fossé étagé |
conforte la clôture du site.
3_Le fonctionnement de l’édifice et ses ambiances. 3.1_La séquence d’accueil Depuis le parking, l’allée vers l’entrée principale contourne le jardin par l’ouest en longeant un grand mur de pierre. Un auvent formant préau précède l’entrée et offre une première protection. Ce parcours d’une trentaine de mètres sur terrain plat, permet de s’extraire progressivement des rythmes du quotidien. Les familles et les proches ont l’espace pour se regrouper naturellement. Ils ont aussi le temps de se préparer à entrer dans l’édifice. Le volume important du hall d’accueil et sa lumière abondante (frontale et zénithale |
par un grand puits de lumière) prolonge la douceur du passage à l’intérieur. Plusieurs signes concourent à apaiser ce moment : les points de vue variés sur le jardin ou le paysage qui évitent la sensation d’enfermement, la présence du même matériau (pierre) qu’en extérieur, le bassin sous le puits de lumière, la chaleur des ensembles menuisés massifs (portes, lambris) en hêtre etc.
Ce hall qui est la pièce fédératrice des usages publics, permet de se repérer très facilement. Les fonctions administratives et de réception sont immédiatement en contact avec les arrivants et situés au centre de toutes les circulations internes. Les accès des salons d’attente et des salles de recueillement sont hiérarchisés et identifiables au premier coup d’œil. 3.2_Les deux ensembles de cérémonie A partir du hall, le crematorium est de plain-pied et il est composé de deux entités bien distinctes qui agrègent toutes leurs fonctions. La salle de visualisation et de remise des urnes est praticable indifféremment par les deux entités. |
Cet enchainement simple évite tout croisement inopportun et favorise une sorte de « marche en avant » qui aboutit à une sortie vers l’extérieur. A chacune des entités, nous avons choisi d’associer un groupe de sanitaires distinct de celui du hall. De même, des locaux de rangements de matériels (chaises, tables) sont mis à disposition de chaque salle de retrouvailles pour maintenir une qualité spatiale quel que soit le mode d’utilisation. L’enchainement des ambiances de chacune des entités est aussi comparable et adapté aux échelles respectives : les salons d’attente sont des volumes de petite taille avec une vue cadrée sur l’extérieur. Les salles de recueillement sont des lieux plus introvertis. Elles bénéficient toutes les deux d’un apport de lumière naturelle (occultable si besoin) qui descend d’un puits de lumière sur toute la largeur de la paroi du « départ ». Une grande porte en bois de hêtre, coulissant sans aucun mécanisme apparent, ouvre sur la salle des départs. La sobriété et la symétrie stable de la composition sera accompagnée d’un dispositif d’éclairage modulable qui pourra auréoler le moment du départ d’une température de lumière apaisante. Le parquet et le lambrissage en hêtre sur les longs pans de ces salles complètent les attentions |
spatiales et contribuent au confort acoustique des lieux. Les salles de retrouvailles qui leur sont associées renouent avec la vie et la lumière naturelle généreuse. Par beau temps, le prolongement de ce moment de réconfort est possible à l’extérieur, dans un jardin soigné protégé pour la petite salle, ou sur la terrasse en belvédère sur la vallée de Grâce. L’enchaînement naturel de ces lieux et ambiances permet aux participants de clore la cérémonie interne au crématorium sans repasser par le hall d’accueil. L’accès au jardin cinéraire ou le retour au parking est très facile au sortir des salles de retrouvailles, y compris pour les personnes à mobilité réduite (les cheminements et rampes sont d’ailleurs communs à tous, sans distinction).
3.3_Les fonctions techniques Les fonctions techniques ont un accès extérieur indépendant, via une cour de service clôturée et masquée par un mur de pierre. Le stationnement du personnel et le local d’entretien du jardin sont en prolongement de cette cour de service et clôturés. Les fonctions techniques internes sont complètement séparées des lieux recevant du public, sauf par un petit couloir « dérobé » qui amène à la salle de remise des urnes. Ces fonctions |
sont décomposées en deux bandes d’usage de part et d’autre d’une circulation longitudinale confortable (1.30 de largeur). La bande la plus centrale est celle des fours connectés aux salles de départ par l’intermédiaire des salles d’introduction. Ces dernières peuvent être aussi alimentées indépendamment des salles de départ, en cas de crémation sans cérémonie. Les trajets des cercueils sont directs et facilitent les manipulations. Toutes les fonctions techniques sont de plain-pied sauf les équipements de filtration situés à l’étage, profitant de la double hauteur imposée par les fours. Le volume abritant ces équipements est ouvert sur celui des fours, accessible par une large trappe dans le toit. La seconde bande, en façade Ouest, abrite les autres fonctions techniques. Au nord, l’entrée mortuaire est flanquée du bureau du gestionnaire qui a une vue directe sur la cour de service. A l’autre extrémité, les locaux du personnel sont en retrait de l’activité, au calme, et ont une vue sur le bosquet d’entrée. De manière générale, l’organisation en bandes d’usage des lieux cérémoniels et des parties techniques permet à la fois une distinction très claire des fonctions, un enchainement pratique des séquences et une grande flexibilité d’adaptation dans le développement futur du projet. |
4_L’architecture et sa matérialité
4.1_Posture Le crematorium ne s’érige pas, il s’allonge sur le haut du site. En choisissant cette posture, nous avons accordé la volumétrie générale et l’implantation aux données qui nous paraissent essentielles du paysage : sa dimension, l’enchâssement de ses formes, ses horizons tendus. De cette situation à la fois propice aux cheminements et à la protection des jardins, trois maitres mots ont présidé à la conception architecturale : la sobriété, la solennité et la modestie d’impact sur l’environnement. 4.2_De longs murs vers l’horizon La mise au point fonctionnelle du crématorium et les composants paysagers remarquables du site ont |
généré naturellement une architecture de longs murs. Cette disposition qui cadre les plus belles vues du site a aussi permis de placer discrètement les fonctions de crémation en arrière-plan. Le coulissement de ces murs et le réglage des intervalles au regard des besoins ont décliné une composition libre, stable et sans effet pesant. Entre ces murs, les pignons sont ainsi libres de s’installer à des profondeurs variables, qui peuvent aussi inviter un jardin, telle cette chambre végétale qui vient effleurer au Sud la voie d’accès au parking. Le coulissement libre est aussi actif à l’intérieur : les bandes fonctionnelles s’ajustent et se calent entre elles comme sur un curseur. La hauteur constante de ces murs confère à l’ensemble une solennité sans monumentalité excessive. Un vocabulaire de percements s’en est suivi qui a préféré interrompre les murs plutôt que de les trouer. La lumière pénètre sur toute la hauteur entre deux séquences d’un même mur gardé intact dans sa simplicité matérielle.4.3_La stratification matérielleLa sobriété des dispositions est confirmée par un choix limité de |
matières. Celles-ci s’organisent en trois strates du plus terrestre au plus aérien. La strate d’adaptation au relief, qui part des pentes du sol jusqu’à l’horizontale du plancher est en béton brut, rustique. Ses rives ont parfois un fruit qui exprime l’assise au sol. Sur ce socle, les murs sont montés en pierre de Saint Maximin agrafée. Les lits de pierre de hauteur variable décomposent très discrètement la stratification. Entre ces murs les parois sont opaques ou le plus souvent transparentes. Le béton poli et le verre ont la texture du miroir et moins de corps que la pierre. En couronnement de l’ensemble, un volume pur de pavés de verre est en retrait des limites extérieures. Ces pavés dont la tranche est argentée, renvoient des reflets irisés, nets ou flous selon la luminosité du ciel picard. A l’articulation entre ce couronnement et la strate de pierre, une rive métallique ceinture l’ensemble. Elle porte une trame métallique horizontale formant la cinquième façade des volumes intermédiaires, visible depuis les futures constructions de la ZAC Renancourt (environ cent cinquante mètres). Aucun dispositif technique ne sera visible derrière le volume de couronnement. |
Les cheminées et les centrales d’air sont masquées depuis tous les accès au site. Toutes nos attentions ont convergé pour que l’architecture incarne sobrement un moment rituel, qui imprime une image forte et intemporelle devant la disparition. |
Le développement de la pratique de la crémation devient depuis quelques années un enjeu culturel important pour nos sociétés. En marge de nos traditions, la question est de contribuer à donner une forme à ce rituel, nouveau en Occident, qui efface les corps en quelques minutes. Le paysage du site, son relief, ses horizons, ses grands ciels nous ont largement inspirés par le calme qui s’en dégage ainsi que par la souplesse et la douceur de ses longues horizontales. De grands pans de murs de pierre de Saint Maximin, extraite à moins d’une heure du site, s’allongent vers les plus belles fenêtres du paysage. L’alternance des opacités de la matière et de la profondeur de quelques vues choisies prédisposent au recueillement apaisé. La référence explicite aux villas gallo romaines dont les traces émaillent le territoire picard autour d’Amiens inscrit le projet dans une sorte de permanence qui donne la primauté au fait humain. Le jardin qui étage le site vers le Nord réserve des enveloppements de végétation autour de petits lieux de dispersion des cendres, tandis qu’un long parcours accessible à tous donne du temps à la méditation.